Je voudrais commencer par parler de timing.
Au début, je voulais publier ce texte après le 24 juin. C’était la date à laquelle le gouvernement du Québec avait promis que "tous les adultes qui veulent se faire vacciner contre la COVID-19 seront vaccinés". On avait besoin d'une cohésion dans la stratégie collective de lutte à la pandémie: je ne voulais pas nuire à ça.
Ensuite, le gouvernement a annoncé qu’on avait atteint le
seuil de vaccination visé au Québec pour cet été et le plan de "déconfinement" a été annoncé.
Alors je me suis demandé si je devais attendre encore (ou
pas) avant de prendre position publiquement. Car tout est dans le timing. La cohésion a fait son travail, il est maintenant le temps d'aborder le sujet de la cohérence.
Soyons clair: Il faut que les doses de vaccins finissent dans des bras et je ne veux convaincre personne du contraire. Ce texte vise à expliquer de façon rationnelle ma position personnelle et je n'ai aucun désir de convaincre qui que ce soit de faire comme moi. À chacun sa vie et ses expériences et sa perception du monde.
J’avais envie que les gens comprennent pourquoi je n’irai
pas manger dans un restaurant cet été, ni boire sur une terrasse, pourquoi je ne vais pas enlever
mon masque lorsque je sens que "je me sentirais mieux si je le gardais".
Envie aussi que les gens comprennent pourquoi je refuserai de participer à
certains rassemblements. De toute façon, si un "passeport vaccinal" est mis en place je n’aurai même pas à faire d’effort pour m’exclure des
situations "à potentiel de contagion élevé": je n'aurai pas le droit. (En espérant, bien sûr que cette histoire de passeport vaccinal soit temporaire d'ici à ce qu'une immunité collective mondiale soit atteinte ou qu'on classe enfin ce virus avec les autres auxquels nous sommes habitués.)
Parce que : loin de moi l’idée de me positionner contre
la vaccination.
C’est un outil qui a fait ses preuves contre une kyrielle de
maladies et de virus.
Je pourrais d’ailleurs vous montrer mon carnet de
vaccination et vous verriez rapidement que je suis probablement parmi le 10%
des personnes les plus vaccinées au pays. Donc non : mon choix n’est vraiment
pas motivé par une position anti-vaccin. VRAIMENT pas.
Alors c’est ça : Je ne me ferai pas vacciner cette
année.
Mais pourquoi alors?
Êtes-vous déjà allés à LaRonde et fait la très longue file pendant que
les gens avec la "passe-flash" ne faisaient pas la file et
passaient devant vous parce qu’ils avaient payé plus cher leur droit d'entrée? C’est en grande partie
ça, mon argument principal : Je refuse de passer avant les autres parce que mon pays a
de l’argent. Surtout que je viens d'un pays qui ne produit pas de vaccins alors que des pays producteurs n'ont même pas 10% de leurs populations vaccinées (dont leur 1% le plus riche, ces gens sont prioritaires, ils doivent voyager et avoir une vie "normale", bien sûr!).
Je pense que ce serait bien d’atteindre une immunité collective mondiale. (Pour bien d'autres maladies aussi, en passant.) Je la souhaite tout en sachant que, comme pour la grippe, les variants de la COVID qui apparaîtront au fil du temps feront probablement leurs lots de morts annuellement. Après tout, une protection de 90% n'est pas une protection de 100%.
Gardons
en tête aussi que les virus ne connaissent pas le principe des frontières politiques: Selon moi, on doit s'assurer de protéger les populations plus à risque en priorité et je n'en fais pas partie, évidemment.
Bien sûr, la dose que je me refuse à accepter cette année de se retrouvera pas pour autant dans le bras d’une travailleuse de la santé Brésilienne ou Indienne ou chez une personne de 70 ans à Port-au-Prince. Je le sais bien. Mais ce n’est pas une raison pour que j’accepte mon privilège et que je passe avant ces gens. On est sur le point de jeter des doses au Canada et la pression est forte pour que j'accepte la mienne plutôt que de la jeter. C'est comme forcer un végétarien à manger le restant des steaks des enfants sous prétexte que "l'animal est déjà mort et qu'on ne peut pas téléporter l'assiette aux gens dans des zones de famines". Moi je dis: fallait se prendre une plus petite portion et éviter le gaspillage. La responsabilité est sur les épaules de la personne qui a fait les assiettes, pas sur la personne qui ne veut pas manger.
J’ai passé à travers la dernière année sans vaccin dans une société non vaccinée : je suis capable de le faire encore pendant un an dans un environnement vacciné à 75%. Bien sûr, certains variants sont plus contagieux. Bien sûr, les gens vaccinés et porteurs risquent de me contaminer. Et au pire du pire: j'attrapperai le virus même en faisant mon possible pour ne pas que ça m'arrive.
Vous êtes vaccinés? Vos parents aussi? Tout va bien: Je ne vous mettrai
pas en danger. Vous n'avez pas à me craindre. Ceci dit, suis-je moins responsable en refusant de me faire vacciner ou vous l'êtes en refusant de continuer de porter un masque? L'avenir le dira.
Mon moral est bon et c’est loin d’être si difficile pour moi
de continuer de limiter mes contacts avec les autres et de faire "relativement" attention. La senté mentale étant à l'ordre du jour ces temps-ci: je vous rassure.
L’OMS demande à nos pays de retarder la vaccination des
enfants afin de pouvoir avoir les doses nécessaires disponibles pour les
populations vulnérables des pays plus pauvres. Mais nous, ça fait longtemps qu'on ne vaccine plus
pour des questions d’empêcher des morts : on veut un retour aux activités
économiques et à la vie normale. On veut la "passe-flash" pour nous et recommencer à "profiter de notre situation de privilégiés" sans trop nous préoccuper du sort du monde et de la planète. On veut une troisième dose pour "voyager". C'est à cette vie qu'on est habitué. (lisez le sarcasme, s'il-vous-plaît)
Et nos gouvernements se doivent de répondre à leurs citoyens: ils nous représentent. Je les comprends et je ne les blâme pas, c’est la démocratie. Les gens veulent qu’on
prenne la "passe-flash" alors on la prend. Les gouvernements ne sont pas élus pour pratiquer la solidarité internationale et c'est pareil partout. Bienvenue dans le "real-politik". Peu importe aux citoyens
d’ici que les infirmières de la zone rouge de Mumbaï ne soient pas vaccinées :
on passe devant elles dans la file mondiale en leur chuchotant tout bas "je m’excuse"… On peut même ajouter "Soyez patientes, votre tour s'en vient!" "Merci"" et "Bravo" pour avoir la conscience tranquile.
Moi, j’ai besoin d’avoir la conscience tranquile pour
arriver à dormir la nuit. Je ne l'aurais pas si j'allais me faire vacciner en 2021. J'irai peut-être en 2022... ou en 2023... ou jamais. Faudra analyser l'évolution de la situation. Comme tout le monde, j'irai quand j'aurai l'impression que ce sera mon tour.
Ceci étant dit, nos médias diffusent la position de l’OMS, bien sûr. Mais donne-t-on l'importance qu'elle mérite à cette position? Je cite: "L’OMS demande aux pays riches de reporter la vaccination des jeunes et, par le
biais du programme COVAX, de permettre aux populations à risque dans tous les
pays d’avoir accès aux vaccins." ou "La pandémie ne sera pas finie
dans aucun pays tant qu’elle ne sera pas finie dans tous les pays.".
Les médias nous diffusent ce message de l’OMS, oui, en 30 secondes... puis on passe les 30 minutes suivantes à pousser nos citoyens à se faire
vacciner et à applaudir les résultats d’ici et à nous comparer avec les autres
provinces et avec les autres pays occidentaux. Et à se demander pourquoi ça ne va pas plus vite et à louanger le retour à la vie normale. Un exercice autant inutile que
ridicule (référez-vous à la position de l’OMS pour un rappel à la réalité
pandémique et rappelez-vous que cette pandémie a commencée avec UN SEUL CAS
alors… c'est pas fini tant que c'est pas fini!). Mais je comprends pourquoi les médias font ça: on ne veut pas donner d'arguments aux citoyens qu'on a qualifiés de "anti-vaccins".
Bref, pour revenir à la "passe-flash" qui permet de ne pas faire la file…
Comprenons-nous : attendre dans la file n’est pas
un plaisir pour personne. Mais si j’ai le choix entre "prendre la passe
et passer devant les autres" ou "attendre mon tour" ou "de revenir quand la file sera moins longue" : je
ne choisis pas de dépasser. Je n'ai jamais aimé dépasser ceux et celles qui attendent. Je ne vais pas commencer à faire ça: autant mondialement que localement.
La file d’attente ne s’arrête pas aux limites de nos frontières, elle est mondiale.
J’attendrai mon tour et je vous laisse passer devant moi avec le sourire: "Après vous, mes chers!"
Je ne voyagerai pas cette année.
Je laverai mes mains souvent.
Je mettrai mon masque.
Je ne vous prendrai pas dans mes bras comme j’en avais l’habitude.
Ça va bien aller quand même 😉