dimanche 18 février 2018

Le temps d'une conscience sans frontières.

Dans ma cours arrière, à Estelí, au Nicaragua, y’a des millions de fourmis qui font la file et qui transportent des feuilles toute la journée (Saviez-vous que la somme du poids des fourmis représente environ 15% du poids du total de toutes les espèces animales présentes sur la planète!?). Leur travail m’hypnotise et je divague dans mes pensées. Je pense à toutes les fois que je m’emporte dans des débats (utiles ou inutiles) sur les réseaux sociaux, je précise mes opinions, j’essaie de trouver comment mieux les communiquer.

Dernièrement, je suis beaucoup intervenu sur des questions de sport professionnel. Le salaire des joueurs me choque. Bien sûr, il y a sur notre petite (ou grande) planète des sujets beaucoup plus importants : la guerre, l’environnement, la justice sociale, la colonisation, etc. J’en suis arrivé à me demander : Mais pourquoi ça me choque tellement? Je vais tenter ici de préciser mes positions.

Je crois que ce qui me choque c’est qu’on accepte cette réalité. On ne réalise pas qu’au bout du compte c’est nous qui payons. Les ressources sont limitées sur la planète et, si certains ont les poches trop pleines c’est qu’il y en a qui ont les poches trop vides. Je vais simplifier dans le cas du sport. Directement : On paye pour la télé câblée et les télédiffuseurs paient des droits de diffusion aux équipes professionnelles. Indirectement : Chaque fois qu’on achète un produit, une partie du prix sert à payer les commandites et la publicité diffusée lors des parties. Cet argent suit son chemin vers les poches des équipes. Donc : on paye ces millionnaires qu’on le veuille ou non.  Ce n’est pas un marché parallèle à l’économie.

On peut aimer regarder le sport (sauf peut-être le Canadien cette année!) mais on n’a pas à accepter qu’un hockeyeur gagne en une période ce qu’on gagne en une année.
Mais comme me le rappelle mon ami Denis : La guerre c’est pire.

En effet. Mais… la guerre, on ne la voit pas au Québec ou en occident. C’est une réalité invisible qui ne nous touche pas directement. Même chose pour les conditions de travail et les impacts environnementaux de nos industries présentes dans les pays du Sud. Ce n’est pas directement notre réalité. On n’accepterait pas que ça se passe chez nous mais tant que c’est ailleurs… on vit relativement bien avec ça.

Il y a quelques années, une usine au Bengladesh s’était écroulée. Parmi les nombreuses victimes : des enfants. On disait : On boycott les produits de ces usines. Qui regarde les étiquettes de ces produits aujourd’hui?

On diffuse aussi largement les impacts environnementaux de la production d’huile de palme. Qui lit les ingrédients et s’empêche d’acheter une boîte de biscuits en spécial?

On a tous nos contradictions. J’écris ce texte sur un ordinateur qui contient différents types de métaux extraits par des enfants quelque part sur la planète. Je n’ai pas de leçons à donner. Oops!

L’an dernier, je prenais l’autobus chaque jour avec des travailleurs de la zone franche du Nicaragua. Une zone franche, c’est un espace qu’un pays cède à des entreprises étrangères en leur disant plus ou moins « ici, nos lois ne s’appliquent pas : faites vos affaires et ne nous faites pas la guerre » (tiens, on revient à un sujet important pour vrai : la paix!). Normes du travail et normes environnementales TRÈS flexibles afin d’accommoder des intérêts étrangers. Une forme d’esclavagisme moderne, quoi. Il y a 2 ans, je suis aussi allé « célébrer » un enterrement de vie de garçon avec des amis dans la zone franche de Bogotá (je ne savais pas avant d’y aller) et je me suis retrouvé dans un « bar de danseuses / Bordel » : Même les normes sur les droits humains ne s’appliquent pas dans ces zones! Mais nos entreprises y font des profits astronomiques et ça fait grimper la valeur de nos fonds de pensions. Les chiffres ne décrivent pas les impacts sur la réalité des populations : On ne fait que parler de données macroéconomiques et de rentabilité. Parce que, une fois à la retraite, il ne faudrait surtout pas que notre niveau de vie soit affecté, hein? On aime mieux fermer les yeux sur le niveau de vie des gens qui travaillent à notre place dans des conditions de misère pour nous permettre de bien vivre. Travailler pour payer indirectement les joueurs de hockey me frustre: Imaginez comment se sentiraient ces travailleurs s'ils savaient qu'ils financent nos retraites! Ce qu'on sait pas ne fait pas mal?

Ceci dit, je suis aussi le débat sur les médecins et l’ensemble du personnel des hôpitaux au Québec et il me semble que c’est la même situation. Les plus riches voient leur salaire augmenter alors que leurs « subalternes » sont de plus en plus confrontés à des conditions de travail inacceptables. Et je félicite les citoyens qui dénoncent cette situation. Et je félicite les médecins qui disent : « Je n’ai pas besoin de plus d’argent et j’aimerais que les hôpitaux fonctionnent mieux ». On est capable de voir ça car on a tous affaire avec le système de santé, on a souvent un parent qui travaille dans le domaine de la santé, on aimerait tous que nos taxes soient gérées de façon plus optimale. Ça nous choque tellement!
C’est un début de prise de conscience, de prise de position et de refus de l’injustice. Reste à faire déborder cette conscience de nos frontières.

L’exemple du sport professionnel, je l’ai pris parce que c’est aussi quelque chose auquel on est confronté tous les jours. On l’a dans la face et on l’accepte. Je crois aussi que, tant qu’on continuera d’être content pour les joueurs qui décrochent le gros lot (ou tant qu’on aimerait être à leur place, par jalousie), il sera impossible de faire évoluer les valeurs des gens vers la prise de conscience des réalités des guerres, de la pauvreté et de l’exploitation des pays du Sud et des populations autochtones. Si on accepte les injustices dont on est quotidiennement témoin, comment peut-on développer une empathie qui dépasse les frontières de l’occident?

C’est pour ça, cher ami Denis, que je m’attaque au sport : ça représente la pointe (sans mauvais jeu de mot avec mon nom de famille!) de l’iceberg!

Tout le monde est Charlie (même si 95% des gens n’avaient aucune idée de l’existence de Charlie et surtout du type de contenu qui y était diffusé) mais personne n’est Sud-Soudan… parce que les médias ne nous disent pas qu’il faut être solidaire et nos pays n’ont pas encore d’intérêts commerciaux dans cette région… (encore des points de suspensions!)… et parce que la vie d’un occidental vaut bien plus que la vie d’un Africain : c’est bien connu! Pensez-y: Ce qu'on ne voudrait pas pour nos enfants, il ne faut pas l'accepter pour les enfants des autres.

Il est temps de penser par nous-même...

Comme disait Freire : « Pour libérer l’opprimé, il faut aussi libérer l’oppresseur. »

Invitation à la réflexion… (et à l’action!)