Dans ma cours arrière, à Estelí, au Nicaragua, y’a des
millions de fourmis qui font la file et qui transportent des feuilles toute la
journée (Saviez-vous que la somme du poids des fourmis représente environ 15%
du poids du total de toutes les espèces animales présentes sur la planète!?).
Leur travail m’hypnotise et je divague dans mes pensées. Je pense à toutes les
fois que je m’emporte dans des débats (utiles ou inutiles) sur les réseaux
sociaux, je précise mes opinions, j’essaie de trouver comment mieux les
communiquer.
Dernièrement, je suis beaucoup intervenu sur des questions
de sport professionnel. Le salaire des joueurs me choque. Bien sûr, il y a sur
notre petite (ou grande) planète des sujets beaucoup plus importants : la
guerre, l’environnement, la justice sociale, la colonisation, etc. J’en suis
arrivé à me demander : Mais pourquoi ça me choque tellement? Je vais
tenter ici de préciser mes positions.
Je crois que ce qui me choque c’est qu’on accepte cette
réalité. On ne réalise pas qu’au bout du compte c’est nous qui payons. Les
ressources sont limitées sur la planète et, si certains ont les poches trop
pleines c’est qu’il y en a qui ont les poches trop vides. Je vais simplifier
dans le cas du sport. Directement : On paye pour la télé câblée et les
télédiffuseurs paient des droits de diffusion aux équipes professionnelles.
Indirectement : Chaque fois qu’on achète un produit, une partie du prix
sert à payer les commandites et la publicité diffusée lors des parties. Cet argent
suit son chemin vers les poches des équipes. Donc : on paye ces
millionnaires qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas un marché parallèle à l’économie.
On peut aimer regarder le sport (sauf peut-être le Canadien
cette année!) mais on n’a pas à accepter qu’un hockeyeur gagne en une période
ce qu’on gagne en une année.
Mais comme me le rappelle mon ami Denis : La guerre c’est
pire.
En effet. Mais… la guerre, on ne la voit pas au Québec ou en
occident. C’est une réalité invisible qui ne nous touche pas directement. Même
chose pour les conditions de travail et les impacts environnementaux de nos
industries présentes dans les pays du Sud. Ce n’est pas directement notre
réalité. On n’accepterait pas que ça se passe chez nous mais tant que c’est
ailleurs… on vit relativement bien avec ça.
Il y a quelques années, une usine au Bengladesh s’était
écroulée. Parmi les nombreuses victimes : des enfants. On disait : On
boycott les produits de ces usines. Qui regarde les étiquettes de ces produits
aujourd’hui?
On diffuse aussi largement les impacts environnementaux de
la production d’huile de palme. Qui lit les ingrédients et s’empêche d’acheter
une boîte de biscuits en spécial?
On a tous nos contradictions. J’écris ce texte sur un
ordinateur qui contient différents types de métaux extraits par des enfants
quelque part sur la planète. Je n’ai pas de leçons à donner. Oops!
L’an dernier, je prenais l’autobus chaque jour avec des
travailleurs de la zone franche du Nicaragua. Une zone franche, c’est un espace
qu’un pays cède à des entreprises étrangères en leur disant plus ou moins « ici,
nos lois ne s’appliquent pas : faites vos affaires et ne nous faites pas
la guerre » (tiens, on revient à un sujet important pour vrai : la
paix!). Normes du travail et normes environnementales TRÈS flexibles afin d’accommoder
des intérêts étrangers. Une forme d’esclavagisme moderne, quoi. Il y a 2 ans,
je suis aussi allé « célébrer » un enterrement de vie de garçon avec
des amis dans la zone franche de Bogotá (je ne savais pas avant d’y aller) et
je me suis retrouvé dans un « bar de danseuses / Bordel » : Même
les normes sur les droits humains ne s’appliquent pas dans ces zones! Mais nos
entreprises y font des profits astronomiques et ça fait grimper la valeur de
nos fonds de pensions. Les chiffres ne décrivent pas les impacts sur la réalité
des populations : On ne fait que parler de données macroéconomiques et de
rentabilité. Parce que, une fois à la retraite, il ne faudrait surtout pas que
notre niveau de vie soit affecté, hein? On aime mieux fermer les yeux sur le
niveau de vie des gens qui travaillent à notre place dans des conditions de
misère pour nous permettre de bien vivre. Travailler pour payer indirectement les joueurs de hockey me frustre: Imaginez comment se sentiraient ces travailleurs s'ils savaient qu'ils financent nos retraites! Ce qu'on sait pas ne fait pas mal?
Ceci dit, je suis aussi le débat sur les médecins et l’ensemble
du personnel des hôpitaux au Québec et il me semble que c’est la même
situation. Les plus riches voient leur salaire augmenter alors que leurs « subalternes »
sont de plus en plus confrontés à des conditions de travail inacceptables. Et
je félicite les citoyens qui dénoncent cette situation. Et je félicite les
médecins qui disent : « Je n’ai pas besoin de plus d’argent et j’aimerais
que les hôpitaux fonctionnent mieux ». On est capable de voir ça car on a
tous affaire avec le système de santé, on a souvent un parent qui travaille
dans le domaine de la santé, on aimerait tous que nos taxes soient gérées de
façon plus optimale. Ça nous choque tellement!
C’est un début de prise de conscience, de prise de position
et de refus de l’injustice. Reste à faire déborder cette conscience de nos
frontières.
L’exemple du sport professionnel, je l’ai pris parce que c’est
aussi quelque chose auquel on est confronté tous les jours. On l’a dans la face
et on l’accepte. Je crois aussi que, tant qu’on continuera d’être content pour
les joueurs qui décrochent le gros lot (ou tant qu’on aimerait être à leur
place, par jalousie), il sera impossible de faire évoluer les valeurs des gens
vers la prise de conscience des réalités des guerres, de la pauvreté et de l’exploitation
des pays du Sud et des populations autochtones. Si on accepte les injustices dont
on est quotidiennement témoin, comment peut-on développer une empathie qui
dépasse les frontières de l’occident?
C’est pour ça, cher ami Denis, que je m’attaque
au sport : ça représente la pointe (sans mauvais jeu de mot avec mon nom
de famille!) de l’iceberg!
Tout le monde est Charlie (même si 95% des gens n’avaient
aucune idée de l’existence de Charlie et surtout du type de contenu qui y était
diffusé) mais personne n’est Sud-Soudan… parce que les médias ne nous disent
pas qu’il faut être solidaire et nos pays n’ont pas encore d’intérêts
commerciaux dans cette région… (encore des points de suspensions!)… et parce
que la vie d’un occidental vaut bien plus que la vie d’un Africain : c’est
bien connu! Pensez-y: Ce qu'on ne voudrait pas pour nos enfants, il ne faut pas l'accepter pour les enfants des autres.
Il est temps de penser par nous-même...
Comme disait Freire : « Pour libérer l’opprimé, il
faut aussi libérer l’oppresseur. »
Invitation à la réflexion… (et à l’action!)